Branche de la chimie : accord relatif à l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle (3)
Partie 3- Un accord majeur ?
Telle en est la présentation de l’accord par le communiqué de presse en relatant la conclusion. Son analyse conduit cependant à un avis plus contrasté ; elle nous semble plutôt mettre en lumière deux tendances inquiétantes marquant la négociation collective. On peut, d’une part, s’interroger sur le contenu normatif de l’accord et sur la qualité même de ses dispositions, d’autre part.
1. La portée normative
Tel est l’objectif énoncé dans le préambule : « par le présent accord, les parties signataires entendent apporter leur contribution à l’amélioration de la situation de l’emploi des jeunes ». La convention collective a, en effet, une vocation normative au sens où son contenu a vocation à déterminer des conditions de travail plus favorables que celles fixées par les textes légaux et réglementaires (C. trav., art. L. 2251-1). Or, quelles sont les mesures arrêtées par les négociateurs ? On relèvera, surtout, des orientations générales, sans portée contraignante, devant guider la pratique des acteurs. On soulignera, ensuite, de très nombreuses reprises explicites ou implicites d’obligations préexistantes. On découvre enfin, mais à la marge, quelques dispositions innovantes mais d’une portée limitée.
Synthèse
Dispositions générales non contraignantes | Simples rappels légaux ou réglementaires | Dispositions contraignantes | |
Préambule | Art. 2 al. 1 : le CDI constitue le mode d’entrée privilégié dans la vie professionnelle | Voir C. trav., art. L. 1221-2 al. 1 et C. trav., art. L. 1242-1 | Application directe (préambule) et clause de fermeture (art. 08) |
Art. 1 : importance de la formation initiale | Art. 3.3 : parcours de formation et prise de fonction (formation à la sécurité) | L’employeur est débiteur en matière de santé d’une obligation de sécurité de résultat.Sur les obligations de formation à l’embauche : C. trav., art. L. 4141-2, R. 4141-1 s. | Art. 3 : dispositif d’information du jeune embauché et accompagnement par un parrain et un tuteur. « Statut du tuteur » |
Art. 5.1 : Apprentissage | Art. 4 : insertion dans l’emploi et POE | Voir C. trav., art. L. 6326-1 s | Art. 5.2 : contrat de professionnalisationLe jeune embauché doit être accompagné (parrain et tuteur), Voir C. trav., art. D. 6325-6 s. |
Art. 7 : Actions de branche pour rapprocher jeunes et entreprises | |||
Contrat d’apprentissage et contrat de professionnalisation | |||
Art. 5.2 : le bénéficiaire d’un contrat de professionnalisation peut bénéficier d’un complément de formation | Art. 5 : recours aux contrats en alternance | Voir C. trav., art. L. 1221-2 al. 1 et C. trav., art. L. 1242-1 | |
Stage | |||
Art. 6.3 : incitation pour l’exécution d’une partie du stage à l’étranger | Art. 6.1 : convention de stageArt. 6.2 : intégration du stage à un cursus
Art. 6.4 : maître de stage
Art. 6.5 : information du CE Art. 6.6 : gratification
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Voir décret 2006-1093 du 29 août 2006Voir décret n°2010-956 du 25 août 2010
Obligation découlant de la convention Voir C. trav., art. L. 2323-38 |
Art. 6.7 : octroi des avantages en nature existant dans les entreprises, prise en compte de la durée du stage au titre de l’ancienneté si embauche |
En définitive, les véritables apports de l’accord concernent l’ouverture des avantages en nature aux stagiaires et la création de deux fonctions : celles de parrain chargé d’accueil et de tuteur pour les nouveaux embauchés.
Ce constat interroge quant à l’objet des accords collectifs et à l’influence syndicale dans les négociations. On peut, sans doute, constater un affadissement du contenu des négociations tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau des branches indiquant que le niveau pertinent de la négociation est l’entreprise, espace dans lequel l’employeur instrumentalise l’accord collectif aux fins d’étendre ses prérogatives de gestion, les accords relatifs à l’aménagement du temps de travail en étant la meilleure illustration. Cela inquiète donc sur la capacité des organisations syndicales à peser sur le contenu des négociations pour faire émerger des dispositifs améliorant ou créant des droits pour les salariés notamment au niveau des branches professionnelles espace où le rapport de force devrait être plus marqué que dans les entreprises.
2. La qualité rédactionnelle
Le défaut de clarté et l’intelligibilité sont souvent reprochés au législateur mais la production conventionnelle est loin d’être exempte de critiques.
Ainsi, on ne manquera pas de souligner que les rédacteurs de l’accord, quoique s’intéressant aux jeunes, ne délivrent aucun critère permettant leur identification d’autant que légalement une catégorie juridique homogène de « jeune » n’existe pas, le Code du travail établissant des critères d’âge en fonction des dispositifs mis en place. Quand cesse-t-on d’être jeune pour bénéficier des mesures d’accompagnement à l’embauche ? Et d’ailleurs, pourquoi limiter ces mesures aux seuls jeunes ?
Plus anecdotique est l’imputation d’obligations à l’entreprise laquelle par exemple devrait s’assurer que le tuteur est formé (art. 3.2). L’employeur est évidemment débiteur de cette obligation mise en œuvre par voie de délégation par le chef d’entreprise. Plus significativement, on peut s’étonner que, tout en traitant des avantages en nature offerts au stagiaire, point positif, l’accord n’alerte pas sur le risque d’un redressement par l’Urssaf ; tel est pourtant la position de l’Acoss à propos des titres restaurant (lettre circulaire 2007/138 du 31 mai 2007).
On peut encore s’interroger sur le regroupement du contrat d’apprentissage et du contrat de professionnalisation dans la catégorie des « contrats en alternance ». Une telle catégorie est inconnue du Code du travail, l’alternance étant une modalité d’organisation de la formation pour l’apprentissage, nullement obligatoire pour le contrat de professionnalisation.
Enfin, et non sans étonnement, on soulignera les imprécisions concernant les fonctions d’accompagnant pourtant au cœur de l’accord mises en exergue dans le tableau suivant.
Comparatif des fonctions conventionnelles de « parrain chargé d’accueil », tuteur et maître de stage.
Missions | Conditions | Contreparties | |
Parrain chargé d’accueil (art. 3) | Accueillir un jeune embauché | Personne disposant « de toutes les qualités pour mener à bien cette mission » | Aucune |
Tuteur (art. 3.2) | Transmettre des savoirs et savoir-faire | – Salarié volontaire- Salarié formé à cette mission ayant un niveau de qualification suffisant et la capacité à transmettre des savoirs et savoir-faire | Prime |
Maître de stage (art. 6.4) | Guider et conseiller le stagiaire, assurer le suivi de ses travaux, évaluer le stagiaire et le conseiller | Aucune | Aucune |
Pourtant proches, les règles conventionnelles régissant ces fonctions sont hétérogènes : des conditions et contreparties font défaut (pourquoi ?) et l’on ne sait pas si un salarié peut cumuler ces fonctions ni, si un nombre limité de nouveaux accueillis par un accompagnant s’impose.
Cet accord a cependant le mérite d’exister. Il semble surtout s’inscrire dans une dynamique de gestion prévisionnelle de l’emploi dans la branche de la chimie. L’accord devra probablement être remis sur le métier afin de préciser les fonctions, de les doter d’un statut et surtout de mieux articuler les dispositifs existants. Enfin, formuler par une règle impérative que l’acquisition d’une qualification professionnelle ne peut s’opérer que par la conclusion d’un contrat de travail, fut-il de type particulier, afin de reléguer le stage à une découverte de l’entreprise serait assurément une avancée majeure et utile.